Quels animaux prendre en compte ? Où se situe la limite ?
Certaines limites sont difficiles à poser. Il est ainsi délicat d'estimer à partir de quel âge une personne doit être considérée comme vieille. De même lorsqu'il s'agit d'attribuer des intérêts et des droits aux animaux non humains. Il est probable que les mammifères (primates, rongeurs...) soient dotées d'une existence mentale plus complexe, d'une sensibilité plus fine, de capacité cognitives plus grandes que les insectes et les mollusques par exemple. Ces distinctions emportent que certains animaux disposeront de droits que d'autres n'auront pas, n'ayant a priori pas les intérêts correspondants. Ce qui ne signifie en aucun cas qu'ils n'auraient pas d'intérêts du tout et qu'il serait acceptable de les maltraiter ou de les tuer à la légère. Il n'y a aucune justification morale au fait d'infliger de la douleur à un être sensible en dehors de toute nécessité. Dans la mesure où la consommation (ou tout autre usage) de crevettes ou de moules (et autres « cas limites ») n'est pas nécessaire aux humains, il ne peut y avoir de justification morale pour leur infliger la douleur qui invariablement accompagne ces usages (d'après Tom Regan, traduction David Olivier).
Si la question des cas limites est une défi théorique intéressant, elle est bien loin des grandes préoccupations actuelles que sont la remise en question de l'élevage industriel, de l'expérimentation animale, de la chasse ou de la corrida. De fait, il n'y absolument aucun doute quant à la sensibilité et à l'existence mentale des animaux qui sont aujourd'hui couramment exploités, chassés ou font l'objet d'expérimentations. Que les intérêts d'autres espèces soient plus difficiles à évaluer avec précision n'a aucune pertinence quant aux enjeux actuels. Une fois ces problématiques majeures réglées, le moment sera peut-être venu de nous interroger sur les droits moraux des insectes et quelles seraient les modalités de leur intégration plénière à notre sphère de considération éthique. Pour l'heure, le doute imposerait de s'abstenir.
Le célèbre docteur Albert Schweitzer, qui a œuvré tant pour les hommes que pour les animaux, ne négligeait pas de remettre dans l'herbe un ver trouvé sur du béton. Conscient de ses responsabilités, il pensait que nous devons tous "juger au cas par cas, avec autant de sagesse et de compassion que possible".