Il ne s’agit pas d’imposer des convictions mais de réfléchir ensemble à notre responsabilité envers les animaux non humains à partir des données scientifiques les plus récentes. De nombreuses études tendent à montrer que les animaux ont une forme de subjectivité, sont les sujets de leur vie et ont donc des intérêts. L’idée d’animal-machine a été remise en question par de très nombreux philosophes et scientifiques depuis des siècles, de Condillac au XVIIIe siècle jusqu’à Jacques Derrida au XXe siècle. Des universitaires tels que Florence Burgat condensent ces études qui mêlent biologie, éthologie, psychologie et philosophie. Des chercheurs en éthique appliquée comme Tom Regan présentent des raisonnements solides qui incluent les animaux dans le cercle de notre considération morale. Dans cette optique, la prise en compte des intérêts des animaux se fait d’autant plus urgente que l’oppression qu’ils subissent dans le cadre d’une production industrialisée répond à une demande mondiale en produits animaux toujours croissante. Ainsi, dès lors que l’on reconnaît auxanimaux un intérêt à vivre leur propre vie, il semble juste de chercher à leur en accorder le droit. Mais il ne s’agit pas de le faire sans la société, ni contre elle.

Il s’agit de faire valoir un point de vue divergent de la pensée dominante, pas ou peu relayé par les médias et les milieux académiques en France. À l’inverse, les puissants lobbies agroalimentaires ont des moyens sans commune mesure pour asseoir leur position et leurs rentes. Ils ont aussi pour eux le poids des traditions, l’inertie des habitudes, la peur de l’anticonformisme : si des valeurs sont imposées, ce sont bel et bien celles du carnisme dominant.

Il ne s’agit pas d’imposer un point de vue (d’ailleurs comment le pourrait-on ?), mais de susciter et d’alimenter un débat d’idées autour de questions qui relèvent du politique. En effet, si par certains aspects l’éthique relève du choix personnel, elle est aussi éminemment politique parce qu’elle implique d’autres parties : l’animal bien évidemment, mais aussi l’ensemble de la société dont elle constitue l’un des fondements.

Certains progrès sociaux majeurs comme l’abolition de l’esclavage ou les droits des femmes ont précisément été conquis entre autres grâce à la remise en question, dans le cadre du débat public, de pratiques considérées jusqu’alors comme relevant de la sphère personnelle. Toutes les idées progressistes ont rencontré l’opposition de ceux qui tiraient bénéfice des pratiques mises en cause.

Les militants pour les droits des animaux souhaitent informer et convaincre (à l’instar de tout mouvement politique ou associatif). Reprocherait-on à une association humanitaire de chercher à alerter l’opinion publique, à informer et à convaincre de la nécessité d’agir ? Considérerait-on qu’elle cherche à imposer ses convictions ?

Les sondages révèlent une forme largement partagée d’empathie à l’égard des animaux d’élevage. Ainsi trois français sur quatre et neuf allemands sur dix se disent sensibles au bien-être animal lorsqu’ils achètent un produit d’alimentation d’origine animale. S’ils avaient connaissance de la réalité de la condition animale, ils s’en indigneraient. Or, l’industrie et le commerce de produits animaux cachent derrière une façade marketing les conditions réelles de vie et d’abattage des animaux d’élevage. Dès lors, peut-on réellement faire un choix conscient et informé lorsque tout est mis en œuvre par l’industrie agroalimentaire et les acteurs de l’exploitation animale pour maintenir le grand public dans l’ignorance et le bercer d’illusions ?

Par ailleurs, on reconnaît en général une sensibilité aux animaux de compagnie (chat, chien) mais on ignore généralement que les animaux d’élevage (lapins, poules, cochons, vaches) ont des capacités cognitives, des comportements et besoins tout à fait semblables. Comble du paradoxe, on reconnaîtra ou pas, en fonction des contextes et des affinités, des besoins et statuts différents à une même espèce. Ainsi, lapins et chevaux seront tantôt des membres à part entière de la famille tantôt des biens de consommation. 

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